Le code a changé #4

Mickaël Doucet
9 ème étage : mises en perspectives

VUES DE L’EXPOSITION

Vues de l’exposition M.D., 2025 ©Judie Montaudon

Une peinture de trompe esprit

      Détrompez-vous, la peinture de Doucet n’est pas aussi sage qu’elle voudrait nous le faire croire. Elle est représentation, c’est une évidence. Elle décrit un lieu identifiable, dont on peut mesurer les intentions esthétiques d’un architecte d’intérieur. Mais pas sage, parce que sa représentation mime la perspective unitaire que l’on est habitué à voir dans la peinture classique. Il s’agit de la perspective, inventée à la Renaissance, qui a voulu régler de façon « définitive » la représentation du réel avec un seul point de fuite central pour accueillir toutes les lignes dirigées vers l’horizon dans un tableau. Pas sage aussi, comme l’est quelqu’un qui ne se rangerait pas au diktat des injonctions académiques, ou d’un ordre plastique de représentation précédemment établi comme immuable. Cette perspective anarchique que l’on devine dans le tableau est-elle une maladresse ? Une méconnaissance ? Une ignorance technique ? Ou est-ce une volonté assumée, une résistance à ce pouvoir de la représentation unicitaire, ou bien, est-ce un pur désir ludique d’un contournement d’obstacle ? La réponse n’a pas vraiment d’intérêt, car ce qui fait question ici, c’est pourquoi cette « erreur » de représentation habituelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance de ce qui est représenté. Il faudrait revenir au sens même du mot « perspective » qui est issu du langage de l’optique, et qui veut dire « voir clairement ». Pour voir clairement ce que l’on veut représenter, il y a plusieurs types de représentations qui sont autant de perspectives connues que l’on peut rapidement énoncer : la perspective à étagement, à rabattement, cavalière, symbolique, hiérarchique, atmosphérique…etc. Toutes ces représentations proposent une réception de ce qui est donné à voir, de façon claire, sans équivoque, ni ambiguïté. Il n’y a pas de vérité de la représentation, et donc de « justesse » dans celle-ci. C’est la perception que l’on a d’une chose qui dit la chose. Avec ces simulacres (dont fait partie la peinture) on perçoit le réel qui est envisagé dans son intention d’image.

Regardons de plus près les éléments constituant le tableau présenté ici. Pour un œil averti, les choses ne semblent pas si ordonnées que ça. Très vite notre perception est troublée par un non sens spatial visuel. On y découvre plusieurs de ces perspectives, entremêlées dans un même espace. Celle de la Renaissance a agit autoritairement durant plusieurs siècles, mais le cubisme, et Picasso, l’ont renvoyée à une simple convention. Dans cette peinture, les lignes de fuites ne se retrouvent pas en un seul point, mais diffusés dans l’espace plan. Cela rejoint la période romane où les lignes de fuites convergent de façon empirique vers un regroupement central. Si on regarde bien le tableau, on est face à une ouverture sur l’extérieur, mais on est au dessus de la table basse, qui n’est pas sur le même plan que les deux étagères posées contre la « fenêtre ». Le fauteuil est vu plus en dessus que le tabouret, alors que celui-ci est plus près de nous. Les ombres viennent par derrière, ce qui remet en question l’identité de la « fenêtre » et son éventuel apport de source de lumière. Quelle est-elle cette baie vitrée qui apparaît alors moins vitrée que ça, est-elle un miroir ? Cela se pourrait, car elle reflète les meubles et les objets situés devant elle. Mais si c’est un miroir, pourquoi le regardeur (ou l’artiste), situé en face ne se reflète-t-il pas ? À moins que ce miroir ne soit qu’une peinture qui simulerait alors le reflet d’une glace, ce qui reviendrait à dire que ce tableau nous trompe plusieurs fois. « L’Art est un mensonge qui nous aide à comprendre la vérité » (BRAQUE ). Ici, le réel que l’on croit voir dans la peinture nous échappe, il se transforme en une réalité de la peinture, celle du trompe l’œil et du trompe esprit.

On ne peut qu’adhérer à l’idée de résonnance d’un décor peint sur toile dans un décor réel… cette idée de quasi mise en abîme fait resurgir visuellement le décor présent dans l’appartement du Vieux-port. Le tableau lui fait écho de plusieurs façons : décor des années 50-60, baie vitrée donnant sur un plan d’eau et sur le ciel, table basse, livre, fauteuil, étagère, sculpture africaine, peinture contemporaine... Il reprend de fait le concept proposé par « le code a changé » qui donne comme incitation « dedans/dehors, intérieur/décor » Un autre paramètre de cette mise en résonnance, et non des moindres, c’est la présence du vide, de l’absence humaine dans le tableau, car telle est la situation de l’appartement du Vieux-port, qui reste toujours inhabité.

Une peinture référencée

C’est aussi une peinture qui met en présence la culture, le savoir. Plusieurs signifiants repérés nous parlent de l’histoire de l’art. Il y a des peintures aux murs qui convoquent, ici et là, l’art japonais avec le mont Fuji, l’art contemporain avec une évocation de Viallat, les trois formes primaires que sont la pyramide, la sphère, le cube, associées au choix délibéré des trois couleurs tout aussi primaires que sont le cyan, le magenta et le jaune, chères à Rietveld et Mondrian. Le Bauhaus est invité, Le Corbusier également avec son programme de faire entrer « soleil - espace – verdure » dans les appartements grâce à ses larges baies vitrées que permettait l’emploi du béton armé. Dans d’autres peintures réalisées par l’artiste, et vues sur son site, on aura remarqué la présence de Matisse, de Rothko, de la statuaire grecque, et plus près de nous du canoë de Peter Doig. À la lecture de ses nombreuses peintures hors exposition, on remarquera, telle une récurrence, la présence d’un petit livre à la couverture rouge. Cette couleur semble ponctuer l’espace de sa présence, mais elle pourrait tout aussi bien être une évocation du petit livre rouge de Mao (on est dans un univers années 60 ) qui, comme la perspective unitaire, dicte l’exemple à suivre... La peinture de Mickaël Doucet nous apparaît soudainement comme une opposition à toute forme d’addiction à un ordre établi, rappelant ainsi que l’artiste est totalement libre dans son propos créatif. Et, de fait, il nous le donne à voir à travers son appartement témoin, témoins de ses rêves, d’espaces fantasmés, idéalisés, utopiques, le nec plus ultra imagé d’un intérieur sublimé. Lequel se propose, mais qui, lui, ne s’impose pas.

Je ne peux pas ne pas penser à Xavier de Maistre (1763-1852), et au titre de son récit, « Voyage autour de ma chambre ». Oui, un espace clos est, bien entendu, un espace ouvert.

Bernard Muntaner, 2025

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