©Judie Montaudon

Le code a changé #2

Nico Maria Moscatelli
Lacydon

VUES DE L’EXPOSITION

Vues de l’exposition N.M.M., 2024 ©Judie Montaudon

Exprimer la roche dans le dessin, et se frotter au temps…

La roche est considérée communément comme matière inerte, une matière brute. Les mystiques du Moyen Âge dont Nico Maria fréquente les écrits, pensent la pierre comme un abîme, un espace abyssal. Un paradoxe qu’un plein puisse abriter un vide, là où la densité géologique exclut un vacuum (*)

La pierre aurait-elle en son sein un creux qui la ferait résonner ?

Michel-Ange, à la fin de l’exécution de sa sculpture, porta un coup de maillet sur le genou de son « Moïse » en marbre en lui ordonnant « et maintenant parle ! ». Mais que peut dire la pierre sans la main de l’homme ? La boursoufflure des roches dans les grottes préhistoriques ont prédéfini l’emplacement des dessins en faisant coïncider volumétries minérales et parties du corps d’un animal. La panse d’un auroch sera surexprimée par l’excroissance d’une paroi.

Mais que peut dite la pierre en restant originelle. Comment faire parler des éléments mutiques comme l’est le minéral et entendre l’amplitude de sa prégnance. Peut-être en allant chercher dans l’infiniment petit, en se rapprochant de la roche au point de la toucher, la caresser, la frotter au charbon de bois, pour la faire s’exprimer dans ses méandres, ses anfractuosités. On y découvre alors une écriture visuelle mais non dicible. Le graphisme que révèle le frottage du fusain sur le papier pourrait s’apparenter à une écriture savante, organisée, mais qui, comme l’écriture cunéiforme avant la découverte de sa traduction, nous laisserait sans sens. Interdit d’accès. Mais faut-il chercher du sens en toute chose ? Vivre avec la contradiction de l’oxymore — le plein et le vide étant intimement lié —, ne résoudrait-elle pas tout questionnement devenu inutile ? Mais voilà, l’artiste ne se contente pas de vivre avec une belle formule, viendrait-elle des mystiques du Moyen Âge… Chercher ce qui n’est pas apparent, creuser l’inaccessible… l’artiste, comme l’homme, ne peut se satisfaire de ne pas savoir, de ne pas comprendre…

Nico Maria Moscatelli interroge le calcaire des calanques, et plus particulièrement la roche en ses extrémités, le dessus de la pierre avec sa volumétrie particulière, accidentée ou lisse, creusée, boursoufflée, aiguisée, tranchante… Passer du volume à son empreinte, « empreinter » la roche en empruntant sa crête pierreuse acérée dans le dessin qui s’organise dans l’espace blanc d’un papier issu du bambou. Le fusain qui frotte la surface accidentée du rocher va faire advenir le dessin, « son propre dessin », un portrait silencieux, une expression mystérieuse de la roche. « Le sacré ne se touche pas, mais moi je veux toucher… » dit Nico Maria.
Alors, après avoir trouvé le chemin hors des sentiers balisés qui le mène à la pierre à « empreinter » il place le rouleau de papier qu’il scotche sur les bords, et dont la trace sera laissée apparente sur ses réalisations. L’ennemi ce sont le vent qui vient soulever l’installation et le soleil pas toujours clément les jours de grosse chaleur.

Corps à corps. Épouser le rocher par sa position penchée sur lui. Sérénité et bataille parfois se conjuguent au frottage. Parfois aussi des trous apparaissent dans la feuille très mince et fragile. C’est l’expression de la résistance de la roche à se laisser caresser par une esthétique autre que la sienne propre, celle que veut nous faire partager l’artiste sur ses grands lés de papier.

Une fois les nombreuses réalisations de frottages rassemblés, Nico Maria Moscatelli va rechercher des juxtapositions, trouver des convergences de raccords entre les différents dessins pour reconstruire une géologie plastique. Les bandes de papier ainsi raboutées offrent une grande surface où danse une écriture à la calligraphie hermétique. On peut y interpréter non pas des mots ou du sens, mais des analogies plastiques comme celle d’une représentation schématisés de feuillages d‘arbres qui pourraient constituer un semis de forêts, forêts à pénétrer, peut-être pour s’y perdre. L’arbre — dont le fusain est issu —, s’associe naturellement aux calanques, accroché à la roche, même s’il a des difficultés à s’y développer.

Dans l’exposition, à côté des lès de papier, voisinent des feuilles, découpées en carrés « sur lesquelles je frotte les reliefs de la roche, en les déplaçant à plusieurs endroits. Le carré devient alors tout noir, saturant le papier de fusain ». Ce qui était visible (le graphisme), et lisible (l’acte du frottage), se dissout comme pour retrouver l’abîme intérieur de la roche, cette opacité ouverte à la béance enfermée dans la pierre des mystiques. L’image du carré ainsi saturé pourrait s’apparenter à une chute dans le trou noir abyssal de la roche, rejoignant ainsi la dualité originelle de la création.

Avec les traces noires de la roche sur le papier, sont présentées dans l’exposition des pierres prélevées autour du massif des Calanques. Elles sont devenues sculptures par l’intervention minimale de l’artiste. La configuration de ces petits rochers guide l’action de la main. Il y a le respect des linéaments en creux ou en relief. La surface sera accentuée dans des endroits propices initiaux, comme pour la faire avancer dans le temps. « Au lieu d’imposer une forme à la roche, je laisse les fractures déjà présentes dans la matière se manifester, comme dans une accélération du temps. De la même manière, certaines zones de ces pierres sont minutieusement polies à la main jusqu’à créer une surface lisse et invitant le toucher. » La pierre sera poncée avec du papier de verre, un geste répétitif jusqu’à épuisement. Éroder et accélérer le temps par la patience du geste lors de séances de 10 à 20 heures en continu, laissant à sa suite se distinguer une couleur plus claire issue du frottage, côtoyant celle naturelle encore témoin des intempéries passées. Ces sculptures veulent nous donner à voir comment sera dans un demain lointain cet objet qui est encore du présent. Futur et présent sur la même roche. L’artiste démiurge devient Chronos — le dieu du temps qui peut savoir tout ce qui va se passer —, ou, du moins, Nico Maria en propose ici une spéculation poétique.

Frotter c’est penser le temps, et le vivre sans artifice…

Bernard Muntaner , 2024

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